Roel Arkesteijn
Triumphant functions of the male psyche
Sur les dessins inquiétants de Paul van der Eerden
Autrement que le laissent présumer ses dessins polymorphes dont la proximité formelle avec les artistes singuliers est parfois évidente, l'œuvre artistique de Paul van der Eerden (1954) trouve son origine plutôt dans l'absurdité de la vie quotidienne que dans l'ivresse subconsciente du rêve ou du délire.
Effrayante, d'apparence maladroite, naïve et enfantine, elle plonge indéniablement ses racines dans la condition humaine. Selon l'artiste, " la vie n'est pas une partie de plaisir, on est incapable de réaliser ce que l'on veut et on ne veut pas réaliser ce dont on est capable. Il faut accepter que la vie est un bordel monstre. J'arrive à le dire avec un sourire."
Le point de départ des nombreux dessins de van der Eerden est sa fascination pour la froideur usuelle et la violence des rapports humains et le tragique inhérent à l'existence humaine. Procédant par associations, son œuvre se caractérise par des motifs qui reviennent fréquemment: des personnages rigides l'air désespéré qui se fixent du regard, incapables de contact ou exécutant des actes agressifs, obscurs et souvent dominés par des pulsions sexuelles. Ses dessins rendent compte, sans jugement moral, de préoccupations d'apparence typiquement masculine. Le sentiment d'oppression qui se dégage de ses dessins est rendu plus intense et en même temps relativisé par un humour bienveillant. "Il est vrai qu'il y a beaucoup de misère, mais il faut pouvoir en rire", nous dit van der Eerden. Tout comme les artistes "singuliers", terme artistique imprécis et vague sous lequel on regroupe les artistes d'expressions hétérogènes atteints de troubles mentaux, immatures et souvent non professionnels, van der Eerden ne cherche pas à être associé à la scène artistique. A la différence de la plupart des artistes singuliers, il s'agit d'un choix délibéré de l'artiste qui veut se positionner ainsi en dehors de la scène artistique qu'il juge souvent ennuyeuse, étouffante et académique.
Il a reçu sa formation artistique à l'Ecole des Beaux-Arts de Rotterdam de 1974 à 1979 et il a longtemps lutté non sans peine, pour se dégager du système de production d'image qui lui a été enseigné et qu'il jugeait trop à l'abri des risques, trop sophistiqué et trop esthétique. Au début des années 90 van der Eerden a trouvé petit à petit sa thématique actuelle après des années passées à explorer des possibilités d'expression que lui offraient les techniques artistiques dont il disposait. Ses dessins , et là il y a paradoxe, ont trouvé leur chemin vers le monde des musées et des galeries d'art où ils cotoyent les œuvres des autres artistes , ce qui n'est pas le cas de la plupart des artistes singuliers. Son isolement artistique dû à son non-conformisme semble être brisé ; ses dessins sont jugés selon les standards esthétiques de l'art contemporain. C'est un destin qui ne semble pas sans explication : De par leur inspiration généralement extrêmement personnelle, les œuvres des artistes singuliers sont souvent caractérisées par une grande fermeture qui les rendent difficilement accessibles. En revanche Les dessins intimes de Paul van der Eerden sont d'une grande universalité. Ils résultent d'une recherche à tâtons des niveaux de signification des motifs qu'il porte en lui; ils révèlent involontairement les traces des instincts que nous partageons tous, la volonté de puissance, les pulsions d'autodestruction et les pulsions sexuelles.
Caractéristique de son œuvre est l'utilisation d'images et de textes qu'il trouve dans la rue et qui lui permettent de laisser place aux influences de styles très variés comme l'art vaudou haïtien, les bandes dessinées qu'il lisait dans sa jeunesse ou encore le personnage de Ned Kelly créé par le peintre australien Sydney Nolan. A la fin, la main qui initialement cherchait en dessinant fait place à un geste plus sûr et plus décidé. Il procure invariablement aux dessins une certaine évidence, une certaine valeur de réalité. C'est de là que vient aussi le sentiment d'oppression qui se dégagent continuellement de ces images claires et originales de van der Eerden. La conscience que la violence que nous percevons quotidiennement autour de nous, est aussi en puissance en nous-mêmes, mais qu'elle y reste habituellement cachée sous une fine pellicule friable de civilisation.
Roel Arkesteijn in;
Hôtel des Automates
éditions Maasz, Rotterdam 1998
© Roel Arkesteijn