Frédéric Paul

Paul van der Eerden est né à Rotterdam en 1954, où il travaille encore aujourd' hui dans un atelier spartiate niché dans les combles d'un immeuble administratif désaffecté. La pratique du dessin requiert isolement et tranquillité. Aussi, la tranquillité venant à lui arrive-t-il régulièrement de s'exiler plusieurs semaines à l'étranger, en Inde ou en Turquie, par exemple, pour ne plus avoir à répondre aux sollicitations de la vie quotidienne et se concentrer sur son ouvrage méticuleux et insistant. Ces voyages ne sont pas anodins car ils ont, on s' en doute, des conséquences sur son travail, et notamment sur son iconographie. Une iconographie composite qui mêle des répertoires traditionnels à des motifs récurrents de l' art des singuliers, ces artistes de la pulsion incontrôlée qui ont pourtant en partage des fantasmes ordinaires (?) enfance de l'art en quoi les surréalistes, qui n'avaient pas peur des poncifs, voyaient une possible relève artistique…

Le dessin est matériau ou expression première et forme singulière par excellence. Les crayons de couleur, le stylo à bille suffisent à Paul van der Eerden, et son geste déterminé n'a jamais dépassé le format A3. Ce qui frappe devant son travail, c'est cette impression de familiarité, de spontanéité la forme en même temps que la surprise de voir ici poussé au-delà des limites habituelles une esthétique du graffiti, de la caricature, du labyrinthe, ou du dessin demi-conscient (comme ceux, entre tressages, mosaïques ou marqueteries, exécutés au cours de conversations téléphoniques). Dessin trituré, habituellement crayonné sur un bout de papier trituré, et qui se voit ici mis à plat et érigé en discipline. C'est à dire en une pratique régie par une expérience etétayée par une culture et des références particulières. Or c'est justement l'existence de cette culture, bien ancrée, et sa diversité stylistique (remplissage, superposition, caviardage, micro-motifs répétitifs) et thématique qui permettent de ne pas confondre la démarche de van der Eerden avec celle d' un artiste singulier.

Van der Eerden joue avec complexité sur de multiples registres et il organise des alliances a priori inconciliables entre l'art tribal et la création spontanée. Domaines qu'il connaît bien qu' il regarde avec l'attention maniaque d'un amateur de livres anciens ou d'autographes et dont il peut être considéré comme un spécialiste puisqu'il a organisé de nombreuses expositions dévolues à ces genres tour à tour considérés comme « premiers» ou comme mineurs et qui, avouons-le, échappent à notre cadre de pensée. (On ne sait que les conséquences formelles de l'art africain sur l'art occidental, de Derain à Matisse et à Picasso et de Modigliani à Brancusi et au premier Giacometti, mais on connaît moins encore l'impact d'un Douanier Rousseau, singulier très autorisé, sur les mêmes ? L'art des singuliers offre moins de prise à l'exotisme de tout temps recherché par l'art occidental.) Et c'est ce va-et-vient qu'organise en toute conscience le travail de Paul van den der Eerden. Difficile dès lors de regarder ses dessins, qui sont donc tout sauf naïfs, pour leur seule beauté formelle mais difficile aussi, tant ils sont accomplis, fouillés et comme stratifiés, de donner la priorité aux thématiques ou aux motifs universels qui s'en dégagent ou qui les inspirent: la mutilation, le tatouage, le portrait, la métamorphose, les mains, la ville, l'acte sexuel… Paul van der Eerden enjambe toutes sortes de catégories, son œuvre est inassimilable à celles qu'il affectionne en spécialiste et elle est problématique à situer dans le champ de l'art contemporain. Son maniérisme obsessionnel ou son primitivisme appliqué procure une impression hypnotique qui n'est pas loin d'évoquer le déroulement d'une pelote de fil et l'emmêlement inextricable de l'écheveau ainsi dévidé : alternativement on prête attention à la beauté des boucles et on s'interroge sur l'énergie nécessaire à un tel déploiement de formes circulaires.

Quoique fort bien représentée dans les collections de deux musées néerlandais importants le Centraal Museum d'Utrecht et le Boijmans Van Beuningen, de Rotterdam, lequel l'expose régulièrement, l'œuvre de Paul van der Eerden a encore conservé la confidentialité du dessin. Plus d'une centaine de dessins sont réunis. Comme pour Aernout Mik, son compatriote, l'exposition présentée au Domaine de Kerguéhennec est sa première monographie dans une institution française. La plupart des dessins proviennent de collections privées ou de la collection de l'artiste. La série Insanity Factory, 1998-1999, qui comporte treize éléments a été prêtée par le Centraal Museum d'Utrecht.

Frédéric Paul in;
Paul van der Eerden: Dessins
24.III - 17.VI.2001
Domaine de Kerguéhennec, Bignan

© Frédéric Paul 2001